Division navale de Bizerte
En fin d'année 1898, l'amiral Henri Ponty est chargé par le ministère de la guerre de poursuivre la création de la base navale de Bizerte en Tunisie. Le site est, en effet, très favorable du point de vue militaire : un vaste lac se trouve protégé de la haute mer par un goulet facile à défendre. Un arsenal est déjà en chantier à Ferryville, bourgade située sur la rive sud du lac, mais il faut encore réaliser les formes de radoub, ainsi que l'infrastructure médicale.
Georges, qui se trouve en poste à l'Ecole de médecine Navale de Bordeaux depuis plusieurs années, se trouve en recherche d'un embarquement intéressant, embarquement nécessaire pour être présent au tableau des promotions aux grades supérieurs. L'amiral s'assure les services de Georges en tant que médecin de la division navale à bord du garde-côte Tempête, et lui confie les responsabilités médicales dans la construction de l'hôpital Sidi-Abdallah de l'arsenal. A la fin du mois de février 1899, Georges embarque à Toulon avec son épouse et ses deux fils pour rallier la base navale de Bizerte.
A ce poste, Georges a la responsabilité du service de santé de la division navale, mais également des différents services qui composent le nouvel arsenal. Il organise avec les ingénieurs du ministère la construction du nouvel hôpital maritime : Il en est l’architecte, l’organisateur technique et financier.
Ce travail remarquable lui vaudra un témoignage de satisfaction du Ministre de la Marine pour les avant-projets et l'organisation des Services sanitaires du grand hôpital de Sidi Abdallah et de l'infirmerie hôpital de la baie "sans nom" (cette baie portera le nom de Baie Ponty après le décès de l'amiral).
Le 25 chaoual 1317 (correspondant au 22 mars 1900 de notre calendrier grégorien), Georges reçoit la décoration de troisième classe de l'ordre de Nichan Iftikhar, avec le grade d'officier, par Ali Pacha Bey, possesseur du Royaume de Tunis.
Le 17 septembre 1901, il est promu au grade de médecin principal dans le corps de santé de la marine.
Cette période marque profondément sa vie, et il gardera toujours dans sa mémoire l'éclatante blancheur du soleil, la couleur des murs en chaux des ruelles africaines, et la courbe indolente des palmiers. Sa peinture devient étonnamment vivante, et il sait mieux que personne rendre les mouvements des crêtes des vagues, ou la course des petits bateaux de pêche. Ses peintures et dessins sont suffisamment connus pour que le 9 octobre 1900, il soit promu au grade d'officier d'académie par Georges Leygues, ministre de l'instruction publique et des beaux-arts. Il réalise de nombreux tableaux, notamment du vieux port peint à toutes les heures de la journée, dès l'aubre, le midi ou à la tombée de la nuit, mais aussi de la medina et de ses ruelles pittoresques et crayonne sur ses cahiers d'étude de nombreuses silhouettes, afin de fixer les attitudes particulières des Bizertins dans leur vie quotidienne.
Ruelle de Bizerte
Le taxi de l'amiral Ponty
Au mois d'août 1902 survient un événement majeur : L'amiral Henri Merleau Ponty prend un congé, les grandes manœuvres de 1902 étant terminées. Il se rend à Paris, dîne le soir de son arrivée chez des amis mais prend congé de ses hôtes de bonne heure, prétextant un besoin de repos après le voyage.
Le lendemain, dimanche 17 août, l'amiral est trouvé par son secrétaire personnel couché dans son lit et dans un état tel (contusions sur les jambes dues à une chute pendant la nuit, vomissements) que le médecin est appelé et constate une paralysie faciale, de la paresse dans les membres. Puis à certains moments des pertes de lucidité et des trous dans la pensée.
Georges reçoit mission, en tant que médecin de la division navale, de rentrer sur Paris et suivre le malade. Le mercredi 20 août au soir, il quitte Bizerte, traverse la Méditerranée, arrive le samedi suivant à Paris et examine Henri qui le reconnaît avec peine : tout effort de pensée semble pénible au malade qui somnole constamment et a de la fièvre. Georges est très pessimiste, et rend visite à 15 h au professeur Landouzy qui avait ausculté Henri la veille, et dont le pronostic est très réservé. Le lendemain 27 août, le professeur Landouzy fait sa visite, et les deux médecins pronostiquent une méningite encéphalite diffuse.
La matinée du jeudi 28 août est rassurante car l'état de Henri est stationnaire. Le 29 août, la situation s'aggrave brutalement, et rien ne peut faire sortir l'amiral de la torpeur dans laquelle il plonge. Un léger bouillon lui est donné à midi, mais à deux heures, il ne peut plus s'alimenter. L'impotence devient absolue, et sa respiration de plus en plus irrégulière.
Georges fait envoyer un télégramme à Aline et informe l'amiral Gervais de sa crainte d'une journée fatale. A 19 heures, un prêtre vient visiter Henri et lui donner l'absolution puis l'extrême onction. La soirée est angoissante, et à 21 heures, l'infirmier de veille appelle Georges : des mucosités noirâtres se forment sur ses lèvres, et Henri a quelques soubresauts. Sa figure devient rouge et violacée. Georges fait prévenir l'amiral Gervais de la fin imminente. A 22 heures, Henri s'éteint doucement.
La situation provoquée par le décès de l'amiral Ponty préoccupe Georges, l'avenir étant rendu incertain par le choix du remplaçant à venir. Certains noms sont prononcés dans le petit cosmos bizertin : l'amiral Puech ? Jean Bellue, capitaine de vaisseau, qui commande l’escadre du Nord et se trouve affecté alors sur le Dupuy de Lôme ?
Il faut attendre, même si la nouvelle situation gouvernementale n'est guère faite pour rassurer le corps des officiers : Le nouveau Ministre de la Marine, Pelletan, élu député des Bouches du Rhône en 1881, a toujours été un adversaire violent de la politique coloniale de Jules Ferry et du Boulangisme. Rapporteur du premier congrès du parti radical-socialiste, il vient de recevoir de Combes le portefeuille de la Marine et de s'attirer de vives inimitiés parmi les officiers en voulant démocratiser la Marine.
Visite du président Loubet
En avril 1903, la visite des installations de Bizerte par le président Loubet, accompagné de son ministre Pelletan, est organisée et le mardi 28 avril 1903, les navires de l'escadre font leur apparition dans le chenal alors que Bizerte se pare de tous ses atours pour accueillir le président français.
Le lendemain 29 avril, après un déjeuner présidentiel dans les traditions de la IIe République, un véritable cortège s'organise pour se rendre au "fond du lac", sur le site de Ferryville, afin de découvrir les nouvelles formes de radoubs et l'hôpital Sidi Abdallah. La visite terminée, le président, suivi par sa cour, et notamment par son ministre qui dit simplement avoir Sidi Abdallah en horreur, s'embarque sur La Flèche pour regagner Bizerte, puis monte à bord de la Jeanne-d'Arc. Le soir venu, un joli feu d'artifice est donné en l'honneur du président. Le lendemain à six heures, l'escadre repasse le chenal.
Une année plus tard, lassé par un avenir incertain et de ne pouvoir faire des projets dans une situation qui lui paraît figée, Georges donne son congé définitif à la Marine et quitte Bizerte le 3 août 1904 pour exercer la médecine au Havre.