Station de La Plata

Affecté sur la Tactique, Georges Dufour embarque le 20 décembre sur le paquebot Sénégal pour rallier Montevideo et la division navale des Antilles. Il arrive dans la rade du port le 15 janvier 1883, et prend son poste de médecin major sur cette canonnière. Cette campagne durera deux ans en Amérique du Sud : il y découvre l'Argentine et l'Uruguay.

Fidèle à son intérêt pour l'histoire et la géographie, il décrit avec précision les contrées visitées et le caractère des autochtones :

.../... Nous sommes revenus à Montevideo depuis le 20 au soir ; je t’ai raconté nos mésaventures sur le banc de Paysandu, notre échouage, ma promenade à San-José chez Lockhart ; autant les premiers jours du voyage avaient été dépourvus de plaisir, autant les derniers ont été agréables. La colonie française de Paysandu, nombreuse, composée de gens bien élevés, nous a reçus cordialement et nous avons emporté de son accueil le meilleur souvenir.

A Conception, la capitale de la province d'Entre Rios, nous n’avons vu que deux français, les frères Maurg. Ce sont deux minotiers de la ville qui se sont fait partout un nom recommandable par leur caractère et leur intelligence ; une de leurs grandes qualités est d’avoir conservé pour leur pays une affection singulière : leurs enfants sont punis lorsqu’ils parlent espagnol ; c’est rare dans le pays où nos compatriotes s’assimilent trop vite.

Nous ne sommes restés que deux jours à Conception : c’est suffisant pour voir la ville, entièrement dépeuplée et ruinée. Les maisons sont inhabitées et ressemblent à de grandes usines délabrées ; 1500 habitants au plus habitent la cité ; ce sont en grande partie des malheureux, ou des fonctionnaires du gouvernement ; le fonctionnarisme est, comme dans notre France, une des plaies de toutes les petites républiques de l’Amérique du Sud…

Dans une baie voisine de la petite ville est l’immense usine le Saladéro, où l’on fabrique l’extrait de viande Liebig. Je n’ai pas eu l’occasion de voir les fourneaux travailler ; mais je me réserve à mon prochain voyage de faire à l’établissement une visite détaillée. C’est assez intéressant en effet : on tue par jour 2 000 à 3 000 bœufs ; on en tire de l’extrait, de la gélatine, du suif, du noir animal, des phosphates, du guano, des cuirs, des cornes, de la pepsine, etc., etc. C’est toute une ville dont chaque quartier a sa fabrication spéciale.

l25

Baie de Montevideo

.../... J'ai fait la connaissance du médecin de l’usine, le Dr Pare, un anglais qui parle français comme s’il débarquait du Pont-Neuf ; j’ai déjeuné chez lui avec notre commandant ; sa femme est une grande anglaise qui a des dents en touche de piano, et qui, quoique sachant parler français, répond : « oh, yes » à tout ce qu’on lui dit. De Fray Bentos, la Tactique s’était rendue à Buenos Ayres ; le ministre de France, M. Imbert, est venu nous faire sa visite, et presque aussitôt le commandant a appareillé pour Montevideo où il avait hâte d’arriver. Nous y sommes depuis 4 ou 5 jours ; nous y resterons longtemps ; seulement en septembre nous avons l’obligation d’aller faire un tour du côté de la capitale argentine ; nous resterons absents une douzaine de jours seulement. Tu le vois, c’est l’existence calme et tranquille. Si tu savais combien j’envie le sort des camarades qui sont au Tonkin.    .../...

018

Transfusion sanguine

Le 28 décembre 1884, il donne son sang à l'épouse du député de Montevideo Félix Martinez qui se meurt lentement à la suite d'une hémorragie. Le geste en est pour l'époque remarquable, et lui vaut l'expression de la gratitude éternelle du mari éprouvé qui s'empresse de lui adresser des remerciements publics par voie de presse :

.../... Un ami de mon ami Fort à qui celui-ci communiqua son dessein, M. Georges Dufour, de 26 ans, robuste, de musculature athlétique qui caractérise en général le type de ceux qui comme lui naissent dans les froides régions de Normandie, en ce moment médecin de la canonnière française Tactique, dès qu'il entendit le désir de Fort, avec cette décision résolue et spontanée que donne la jeunesse, dit : « Je m'offre à céder de mon sang ce qui est nécessaire ; vous pouvez l'utiliser ».

Ainsi fut fait ; le dimanche, lorsque par unanimité la réunion de médecin eut décidé que dans l'état où se trouvait la malade, il fallait procéder à la transfusion, celle-ci fut pratiquée par le Docteur Fort, triomphant des graves dangers de l'opération par l'habileté et l'adresse qui en lui caractérisent son talent si justement renommé, en présence des docteurs Romeu Espinoza et Leopold et des étudiants Costa et Demicheli. Le docteur Dufour se prêta à l'extraction de son sang sans s'occuper des souffrances qu'il endura avec une valeur et une abnégation héroïque.

Des actes d'humanité de cette nature sont des cas rares qui avec justice méritent d'être appréciés dans leur noble spontanéité.

J'estime à sa valeur l'acte de généreuse abnégation fait par le Docteur Dufour. Il n'est pas possible de donner dans la vie plus que son propre sang et cette considération liée à l'efficacité des effets produits m'est une obligation plus grande de reconnaissance perpétuelle.  .../...

Par un raccourci du destin assez extraordinaire, c'est l'image réalisée pour les besoins de la presse locale qui fut utilisée par le magazine Télé 7 jours en 1986, lors d'un débat télévisuel sur le sujet brûlant du sang contaminé.

Fin janvier 1885, Georges Dufour doit être rapatrié, atteint de troubles de santé qui le laissent souvent sans forces et qui peu à peu prennent une réelle importance. Il embarque sur le paquebot Niger qui retourne sur Bordeaux et débarque au port le 19 février. Il se trouve atteint d’otorrhée double avec perforation de la membrane du côté gauche. Cette affection nécessite une convalescence de trois mois sur les conseils des médecins Carpentier et Perier en date du 10 mars 1885, prolongée sur ordre des mêmes médecins de trois mois supplémentaires en date du 26 juin 1885 pour raison d’anémie coloniale, et qui sera suivie d’une période de non-activité d’une année !

Le 30 juin 1886, Il soutient sa thèse intitulée De L’Étiologie et de la nature du Tétanos et obtient le titre de Docteur en Médecine de la Faculté de médecine de Paris.

Quinze jours plus tard, Georges Dufour demande sa réintégration qui donnera lieu à une visite et une contre-visite de contrôle, puis d’une demande officielle adressée au vice-amiral le 24 juillet suivant. Sa demande est enfin acceptée le 6 août, et il place son nom sur la liste d'attente des postes à pourvoir.